Par Myriam Poliquin
Hier soir, on s'est encore couché passé 1 heure. Tu animes un atelier ce matin et vous présentez le spectacle pour une seconde fois ce soir. Je sais pas comment vous faites, avec le stress et la fatigue, les soupers tardifs qu'on digère pas avant de s'endormir, le temps et l'énergie que vous mettez à rencontrer et connaître nos hôtes et les autres artistes... J'admire l'efficacité de l'adrénaline dans vos corps!
Moi, mon cerveau est saturé. Ma carte mentale ne cesse de s'élargir au contact de votre univers de musicien.ne.s professionnel.le.s. Je me sens comme une enfant épuisée par la nouveauté et les apprentissages. J'essaie de tout gober, mais il me faut un peu de « vide » pour processer. Mon cerveau-éponge doit se mettre en veille pour faire un peu de classement, réorganiser ma pensée, créer de nouvelles connexions. J'ai donc senti le besoin de me retirer tôt dans nos quartiers hier soir.
Disons aussi que j'ai pas l'oreille pour le genre de routes propres aux Hautes-Alpes, ces serpentins étroits à flanc de montagnes. Ah! La cinétose: le pétillement de la lèvre du bas, les sueurs froides et l'étourdissement me gagnent facilement. Je reste immobile et silencieuse, économise mon énergie. Par chance, notre chauffeur y est sensible et vous acceptez de rouler les fenêtres grand' ouvertes, ma tête en permanence à l'extérieur du véhicule. Buste de sirène sculptée sur la coque de notre navire. Petit chien à lunettes rouges qui se fait sécher le dentier sur le siège arrière.
Ce matin, par contre, je suis en pleine forme. À 7h, j'ai déjà composé et publié les communications pour la journée et ta campagne de socio-financement. Ça adonne bien, ton niveau d'énergie est plus bas et tu dois la conserver pour l'animation de ton atelier.
La complémentarité des membres de notre équipe est mise à profit cet avant-midi. Une demi-heure avant le début, Simon et sa présence apaisante repartent confiants chercher du colorant alimentaire liquide ―et non en poudre― pour une de tes activités pendant que je te patente une jupe avec un chandail. Ledit morceau de ton costume est resté dans notre garde-robe à 20 minutes de route. Ton acolyte passera le récupérer ensuite pour ton spectacle de l'après-midi.
J'accueille les familles qui ne cessent d'entrer, tout en filmant et en photographiant ton travail. Tu restes concentrée, enjouée et patiente, même avec les p'tits coquins qui n'écoutent pas les consignes pis qui sonnent tes cloches.
Ce matin, tu traces des sourires avec la couleur de tes sons. Tu surprends les parents avec tes idées d'instruments-maison; ils veulent des plans, un petit manuel d'instructions pour la maison.
Ma Quincaillerie Musicale- LE spectacle
Il est 13h30. Je cherche un endroit où écrire pendant que vous faites une sieste sur des matelas de yoga dans la bibliothèque de l'école élémentaire. La Zephira est stationnée dans la cour d'école.
On attend de savoir où sera rendue l'ombre vers 17h30, quand le show débutera. La chaleur est un enjeu: Simon sous sa forme tiyounesque (un suit à manches et à pattes longues, une casquette et le visage peinturluré) doit passer 15-20 minutes dans le coffre à outils géant, roulé sur lui-même, en sardine avec ta valise-cajón et ton ukulélé.
Vers 15h, je ramène du café du centre-ville pour ton technicien de son. Il n'y avait pas de gobelets pour emporter. À petits pas traînants dans les côtes de Guillestre, je pratique mon équilibre avec un verre à shooter remplit d’espresso à ras bord. Je perds la mousse au passage, ça dégouline sur mes orteils. Les tests de sons se font sous un soleil cuisant. Cette fois-ci, quand sont dénichées des rallonges assez longues, ça marche du premier coup!
Des micros serre-tête vous ont été prêtés par des artistes de Lyon avec qui vous avez fraternisé la veille et qui ont accepté de vous les laisser bien qu'elles repartaient chez elles en matinée. Plus besoin de s'inquiéter de griller le système avec la conversion 110V-220V. Tout comme les coups de vent amplifiés, Ma Quincaillerie Musicale peut finalement être diffusée à travers la cour d'école.
Il te faut encore penser à adapter ta mise en scène: ton entrée et ta sortie, tes déplacements, l'interaction avec les enfants après le spectacle, etc.
Moi, il ne me reste plus qu'à pousser le bouton du master quand tu entreras en scène.
Au milieu du spectacle, m'accroupissant à travers les spectateurs assis sous les chapiteaux pour prendre une photo, je remarque votre décor en arrière-plan. Alors que je vous rapporte ce moment précis un peu plus tard, mes pleurs accompagnent mes rires: «C'est quand le dernier samedi soir où t'as sorti tes outils au pied des Alpes pour offrir ton cœur à deux cents yeux attentifs?»
Ce soir, on se reposera juste tous les trois devant une salade et on lancera notre gratitude aux étoiles.